Coups de coeurs des Bibliothécaires

Quand Balzac vivisectait les hommes et Zola les foules, Huysmans, lui, ne s’attaquait qu’à l’âme. Et c’est une âme seule, isolée, condensée, rebouclant désespérément sur elle-même, que l’auteur a piégé dans son pavillon imaginaire de Fontenay-aux-Roses. Dandy, esthète, misanthrope, Des Esseintes ne se divertit plus qu’au contact de l’insolite, de l’excentrique et du bizarre. Refusant le contact humain, il s’offre une tortue dont il recouvre la carapace de pierres précieuses, il fait construire un orgue à parfums, se plonge dans des grimoires indéchiffrables et des reproductions de Moraux, se remémore les sinistres farces de sa jeunesse et fantasme un brouillard londonien qu’il ne verra jamais. Prolongeant, complexifiant l’œuvre de Baudelaire, Huysmans a enfermé le spleen au cœur d’un aquarium.

Coup de Coeur de Virgile Van de Walle

Le matériau premier de Jorge-Luis Borges est le vertige. Ses contes ne sont que les configurations permettant le vertige. Un monde imaginaire écrit, décrit, par des générations de savants et poètes, émerge, enfin, au réel. Un magicien sculpte une âme en la rêvant. Un peuple se soumet à la loi du hasard, tandis que de mystérieux êtres déambulent éternellement dans une bibliothèque égale, en proportions, à l’univers. Sont révélés la nature véritable du faux traître Judas, et le secret d’une œuvre inexistante au monde. Borges, successivement, tisse ses seize labyrinthes, débouchant seize fois sur seize infinis.

Coup de Cœur de Virgile Van de Walle

Maldoror, ni tout à fait homme, ni tout à fait autre, a juré fidélité au mal. Apprivoisant les poux, s’accouplant au requin, se métamorphosant en porc ou en vampire, il déclare la guerre à l’univers entier, à l’humanité, à Dieu. Le texte le plus révolutionnaire de la littérature française, Bible des surréalistes, obsession monomaniaque de Breton, de Blanchot, de Buffet ou de Terayama, absorbant, dévorant, chacun de ses lecteurs, pour le recracher différent, possédé, hanté des visions d’un trop jeune homme agonisant.

Coup de Cœur de Virgile Van de Walle

Le cannibalisme est partout, s’immisçant, s’infiltrant, dans les structures sociales, les relations humaines, la sacralité des rites, le mythe, l’œuvre du peintre et du poète, la perversion du fou. Jan Svankmajer, roi de l’animation tchèques, film Alice entouré de tortues squelettes et de poupons de porcelaine, Faust au milieu de marionnettes hantées, Usher, Don Juan, Sade en son asile. Lautréamont, poète français mort à vingt-quatre ans, lègue au monde Les Chants de Maldoror, grandiose épopée du mal. Edmund Kemper, américain, tue, tue ses grands-parents, des inconnues, sa propre mère. Leur unique point commun, concrétisé par le cinéma, la littérature, le meurtre : la contamination, l’abjecte et féconde infection, par le fantasme anthropophage.

Coup de Coeur de Virgile Van de Walle